« Mon foutu devoir et mon obligation est que nous trouvions ensemble un chemin pour l’Europe ». Invitée le 28 février de l’émission politique d’Anne Will, le talk-show le plus célèbre d’Allemagne, Angela Merkel a insisté, devant 6 millions de spectateurs, sur sa volonté de poursuivre sa politique en matière de réfugiés, et de trouver des solutions européennes communes, malgré les difficultés et les mauvaises volontés.
Ce vendredi 4 mars au matin, elle était en visite à l’Elysée pour discuter avec François Hollande de la préparation du sommet Union européenne-Turquie qui se tiendra lundi à Bruxelles. Paris et Berlin ont tenté de définir des positions communes, même si le quotidien de gauche Tagesspiegel ironisait dans son édition du jour : « Merkel et Hollande sont des partenaires sans plan d’action »... Ces dernières semaines, la presse allemande n’a cessé de souligner combien la chancelière est isolée sur la scène internationale. A chacun de ses déplacements - de Bruxelles, à Londres, de Paris à Ankara - les journalistes pointent cette singularité. «Allein in Europa» (seule en Europe) est d’ailleurs un des titres les plus courants ces temps-ci dans les médias Outre Rhin. De Tagesspiegel au journal conservateur die Welt, en passant par la radio Deutschlandfunk, tous l’ont repris. Le grand hebdomadaire Stern en a même fait sa « une ».
Angela Merkel semble en effet prêcher dans le désert, quand elle fustige les égoïsmes nationaux. Quand elle met en garde contre le danger de voir les Grecs plonger dans le chaos, avec des dizaines de milliers de réfugiés coincés chez eux. Quand elle court les capitales et les sommets, en quête de consensus. Après le sommet du 7 mars avec la Turquie, un nouveau Conseil européen est programmé à Bruxelles les 17 et 18 mars. Que peut-elle en attendre ? « La simple mise en œuvre des mesures qui ont été décidées par les chefs d’Etat et de gouvernement cet automne! », s’agace un diplomate allemand. Par exemple, l’ouverture de vrais centres d’accueil, dits « hot-spot », la relocalisation de 120.000 réfugiés selon les contingents établis ou le déblocage des 3 milliards promis à Ankara pour réduire l’afflux des migrants en Europe.
Opposition des pays de l'Est
Pourtant, plus Angela Merkel s’active, plus la défiance vis-à-vis de l’Allemagne s’étend. Les pays de l’Est, réunis dans le groupe de Visegrad, s’opposent de plus en plus ostensiblement. Les Danois, et même les Suédois, traditionnellement accueillants, ont verrouillé leurs frontières. Même Vienne, jusque-là allié indéfectible, a fixé fin janvier un plafond maximum à ses entrées: 80 migrants par jour. Sans parler de la France, partenaire de toujours, qui donne aux Allemands un sentiment d’abandon depuis six mois. « Vous êtes débordés par vos 6000 réfugiés à Calais, ironise un autre diplomate berlinois. Nous, au plus fort des arrivées en septembre, nous en accueillions 7000… par semaine ». L’incompréhension est montée d’un cran encore, lorsque le 13 février Manuel Valls a martelé à la conférence sur la sécurité de Munich que « l’Europe ne peut accueillir davantage de réfugiés »… Chercheuse à la Brookings Institution de Washington, Constanze Stelzenmüller interprète le discours comme « un message sans équivoque : une gifle en plein visage». Au ministère des Affaires étrangères à Berlin, on démine : « Ce n’est pas Valls l’homologue de Merkel, c’est Hollande ! » D’où le déplacement à l’Elysée…
« Angela Merkel isolée ? J’ai entendu cet air pendant toute la crise grecque! », s’amuse Nikolaus Meyer-Landrut. Ancien conseiller pour l’Europe de la chancelière pendant cinq ans, promu ambassadeur à Paris, il préfère insister sur l’importance du droit d’asile des réfugiés. « En raison de notre Histoire, c’est un droit fondamental inscrit dans notre constitution ». Un impératif catégorique qui tient d’autant plus au cœur d’Angela Merkel que cette fille de pasteur a été élevée derrière le rideau de fer.
Mais, si au sein de l’Union européenne, beaucoup de partenaires lui résistent, sur la scène internationale elle a reçu les soutiens les plus prestigieux. Le 12 février, elle accueillait à Berlin George Clooney, pour qui « l’Allemagne est le phare de l’espérance en Europe ». Quelques jours plus tard, 70 intellectuels, dont le chef d’orchestre Daniel Barenboïm et la prix Nobel de littérature Herta Müller, signaient une lettre de soutien, puis le secrétaire d’Etat américain John Kerry l’encensait, tandis que le président de la Commission européenne Jean-Claude Juncker donnait une interview de « une » au tabloïd Bild affirmant : « l’Histoire lui donnera raison ». En 2015, son nom a été cité parmi les possibles nobélisables et elle a été désignée encore une fois femme la plus influente du mode par Forbes. Quant au New York Times, il la voit en elle la future patronne des Nations Unies.