« L’âme de l’Europe, ce sont ses valeurs ; c’est ce que le pape veut nous rappeler »

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L’octroi du prix Charlemagne 2016 au pape François est un événement assez exceptionnel.

Certains pourraient se dire, en ricanant, que l’Union européenne doit aller bien mal pour en être au point de se tourner vers le pape, tandis que d’autres pourraient se demander pourquoi décerner à un pape argentin un prix pour l’unification pacifique de l’Europe… Nous sommes convaincus que le pape François mérite cette distinction, pour le message d’espoir qu’il adresse à l’Europe.

Peut-être fallait-il le regard extérieur d’un Argentin pour nous rappeler ce qui nous unit et pour nous remémorer les forces sur lesquelles nous nous appuyons. En effet, chaque fois que le mot « Europe » rime avec le mot « crise », nous oublions trop facilement ce que l’Europe a accompli et les atouts qui sont les siens.

Sur les ruines de la seconde guerre mondiale, nos parents ont bâti un projet de paix et d’humanité. Ils ont su renoncer à l’esprit de guerre, de destruction et d’inhumanité qui avait caractérisé la première moitié du XXe siècle pour unir leurs forces dans une Europe qui ne connaisse ni vainqueurs ni vaincus, mais uniquement des gagnants. Ils ont ainsi tiré les enseignements de l’histoire : déchirée, l’Europe ne peut qu’aller mal ; unie, elle ne peut que se porter au mieux.

L’âme de l’Europe, ce sont ses valeurs. C’est ce que le pape veut nous rappeler quand il affirme qu’« une Europe qui regarde l’homme et défend et protège sa dignité est un précieux point de référence pour toute l’humanité ». Dans notre course d’un sommet de crise à l’autre, certains se demandent si les Européens partagent encore des valeurs communes. Il est donc d’autant plus important que nous nous appuyions sur les atouts que nous avons en commun. Nous avons en effet plus que jamais besoin de conserver notre cohésion face aux trois grands défis que nous devons affronter.

Un modèle social bâti sur la démocratie

Le premier de ces défis, c’est de préserver notre mode de vie. Dans un monde de plus en plus interconnecté, où d’autres pays et régions montent irrésistiblement en puissance, nous devons unir nos forces, tant il est vrai que la part de l’Europe et de ses Etats membres dans l’économie et la population de la planète ne fait que diminuer.

Toutefois, ceux qui estiment que, face à de telles perspectives, l’heure est au repli sur les Etats-nations se trouvent dans un déni de la réalité. Cette situation peut ne pas nous plaire, mais nous ne pouvons pas l’empêcher. En revanche, si nous restons unis, nous pouvons l’adapter à nos réalités. Aucun Etat membre, aussi influent soit-il, ne peut imposer ses intérêts et ses valeurs aux autres, mais, tous ensemble, nous pouvons peser sur les règles qui régissent la concurrence entre les puissances mondiales.

Nous devons rester unis, parce que l’enjeu n’est rien d’autre que notre modèle social européen, bâti sur la démocratie, l’Etat de droit, la solidarité et les droits de l’homme. Nous sommes l’Europe des droits des citoyens, de la liberté de la presse et du droit de grève. La torture, le travail des enfants et la peine de mort n’y ont pas leur place. La force de notre économie vient de notre marché commun. C’est sur ce socle de valeurs que nous pouvons consolider et renforcer notre modèle social.

Le deuxième de ces défis, c’est de garantir la sécurité et la paix. Lorsque nous, Européens, sommes unis dans l’action, nous pouvons obtenir de grandes avancées. C’est ce que nous ont montré l’accord sur le nucléaire signé avec l’Iran ou l’accord sur le changement climatique conclu à Paris.

La menace que représente le terrorisme islamiste

Ces exemples doivent inciter les Européens à agir ensemble et à assumer une plus grande responsabilité sur la scène internationale. En effet, le monde d’aujourd’hui est plus complexe, d’aucuns diront même qu’il est plus dangereux. Les Etats-Unis s’impliquent de moins en moins dans les questions internationales, la Russie se montre de plus en plus agressive et la Chine monte en puissance en Asie orientale.

Notre voisinage immédiat est le théâtre de conflits et de guerres : en Syrie, le nombre de victimes s’alourdit de jour en jour et la situation en Ukraine orientale reste préoccupante. Les attentats de Bruxelles, de Paris, mais aussi de Lahore et d’Istanbul ont été un douloureux rappel de la menace mondiale que représente le terrorisme islamiste.

Au vu de la situation mondiale, nous ne pouvons nous permettre de gaspiller nos forces à ménager les vanités nationales. Nous devons parler d’une seule voix si nous voulons peser davantage.

Notre troisième défi concerne la gestion de la question des migrations. Le nombre de personnes qui fuient aujourd’hui les guerres, les conflits et les persécutions n’a jamais été aussi élevé depuis la seconde guerre mondiale. Des hommes, femmes et enfants viennent chercher refuge chez nous pour fuir la brutalité de l’organisation Etat islamique et les barils d’explosifs d’Assad. La tâche est si grande qu’aucun Etat membre ne peut s’en charger à lui seul, mais ensemble, nous pouvons nous partager cette responsabilité, nous qui représentons un continent de plus de 500 millions d’habitants.

La visite du pape François à Lesbos n’était pas uniquement symbolique. En ramenant avec lui douze réfugiés syriens, il a agi beaucoup plus concrètement et avec bien plus de solidarité que nombre d’Etats membres de l’Union. Le pape nous a ainsi adressé un appel à l’action. Les homélies sur la solidarité et l’amour de notre prochain ne suffisent pas. Ces valeurs n’ont de sens que si nous les mettons en pratique.

Bien commun

C’est ce que font au quotidien des dizaines de milliers de bénévoles, qui vont souvent jusqu’au bout de leurs forces, et même au-delà, pour offrir à ces personnes un refuge face à la terreur, à la guerre et à la violence. Ils offrent aux réfugiés nourriture et vêtements et proposent des cours de soutien aux enfants pour leur assurer un avenir. Ces bénévoles montrent aux réfugiés et au monde le visage humain de l’Europe.

C’est aussi le rôle des responsables politiques, en particulier sur un continent déjà trop souvent divisé, au cours de son histoire, par des clôtures, des murs, des tranchées et des frontières. Nous pouvons être fiers d’avoir tiré un trait sur ces périodes et de goûter aujourd’hui à la paix et à la prospérité. Chacun d’entre nous en profite, par exemple lorsque nous voyageons ou commerçons d’un pays à l’autre.

Le pape François place de grands espoirs en nous à cet égard. Il attend que nous tirions un meilleur parti des possibilités que nous avons. Après tout, nous avons déjà su mettre un terme à la division de notre continent, grâce à la manière que nous avons de coopérer et de jeter des ponts entre les peuples et les pays.

Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin de cette force face à la crise multiple que nous traversons. Nous en sommes peut-être plus capables que ce que nous imaginons. En tout cas, le pape François nous y encourage fortement quand il affirme que « les difficultés peuvent devenir des facteurs puissants d’unité ». Il est donc grand temps pour les Européennes et les Européens de se lever et de lutter pour l’Europe qui est notre bien commun.

Jean-Claude Juncker (Président de la Commission européenne) et Martin Schulz (Président du Parlement européen)


Par Jean-Claude Juncker, président de la Commission européenne et Martin Schulz, président du Parlement européen

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