La semaine vue par Guy Verhofstadt, ancien Premier ministre belge : « L’Europe est aujourd’hui en polycrise »
L’ancien Premier ministre belge, président du groupe des démocrates et libéraux au Parlement européen, publie chez Plon un livre réquisitoire analysant le « mal européen » et les remèdes pour sortir des nombreuses crises qui menacent l’existence même de l’Union.
L’Europe est à refonder
« L’Union européenne telle qu’elle fonctionne aujourd’hui n’est pas un succès, c’est une tragédie ! L’Europe est aujourd’hui dans ce que j’appelle une polycrise : crise des réfugiés, risque terroriste, faiblesse géopolitique, crise de l’euro, crise financière qui n’est pas encore résolue… La question existentielle du Brexit ouvre des possibilités. Comme on devra, avec un oui ou un non, rouvrir les traités, c’est le moment ou jamais de refonder l’Union. Les États membres, petits ou grands, n’auront pas le choix. Leurs dirigeants ont le dos au mur. Sinon cette Union européenne va disparaître sous les coups de nationalistes et des populistes, ce qui est déjà en train de se passer.
Il y a tout de même des signes qui montrent qu’on peut réussir. Voyez l’union bancaire, le mandat d’arrêt européen, maintenant le corps européens de gardes-frontières.
Nicolas Sarkozy a aussi parlé cette semaine de refondation, mais ce qu’il propose c’est plutôt la continuation. Mettre les ministres de l’Intérieur autour de la table pour gérer la zone Schengen, c’est ce qui se fait en ce moment et cela ne marche pas. Il faut des capacités d’agir au niveau européen. »
La situation à Calais et la crise des migrants
« La jungle de Calais, c’est le résultat d’un accord entre la Grande-Bretagne et la France qui a mis la frontière britannique sur le sol français. L’accord du Touquet, c’est la négation même d’une politique commune européenne. Les eurosceptiques ont raison, la politique d’immigration ne fonctionne pas, il n’y en a pas ! En 1999 à Tampere, en Finlande, il avait été décidé de mettre sur pied une politique de migration commune. Plus de quinze ans plus tard, cette décision n’a débouché sur rien de concret. Il nous faut aujourd’hui cette politique d’asile commune avec des conditions d’accueil similaires, une politique d’immigration légale, un corps de gardes-frontières européens avec des moyens à la hauteur. Les coast guards américains ont un budget de 32 milliards de dollars ! En comparaison, Frontex ne dispose que de 114 millions d’euros… On ne peut plus attendre ceux qui ne veulent pas avancer. L’accord avec la Turquie ne donne qu’une pause temporaire et il nous fait dépendre des caprices d’Erdogan et de ses exigences. Il se sert des migrants pour faire pression sur l’Europe comme Poutine se sert du gaz ! »
Brexit or not Brexit ?
« Je pense que pour l’Europe, il vaut mieux au niveau géopolitique que les Britanniques restent. Le seul qui pourrait se réjouir de ce départ, c’est Poutine qui verrait une Union affaiblie et divisée. Pour le moment je vois qu’il y a une majorité de Britanniques qui préfère le oui et je pense que ce sera le cas car l’intérêt l’emporte toujours sur l’identité. L’intérêt de la Grande-Bretagne ce n’est pas de devenir la Norvège. Je souligne dans mon livre qu’un institut économique allemand réputé a calculé qu’à moyen terme la Grande-Bretagne enregistrerait une chute de 14 % de son PIB, soit une perte de 313 milliards, 4 850 euros par habitants ! Mais ce qui est sûr c’est que, quel que soit le résultat, ce ne sera plus la même Union européenne après le 23 juin. Les Britanniques ne pourront plus bloquer les avancées. »
La France pays irréformable ?
« Je ne pense pas que la France soit un pays irréformable. Je vois des responsables politiques comme François Bayrou, Emmanuel Macron ou Alain Juppé qui ont une cote positive dans l’opinion publique et qui veulent réformer le pays. Ce n’est donc pas une question de rejet de la réforme. C’est plutôt le type de réformes qui est en cause.