« La Grande-Bretagne n’a jamais voulu faire partie de l’Europe »
Alfred Grosser, politologue franco-allemand, revient sur la participation du Royaume-Uni à la construction européenne.
Le référendum qui a mené à la sortie programmée du Royaume-Uni jeudi 23 juin permet aujourd'hui de poser le constat de la participation du pays à la construction européenne. Interview d'Alfred Grosser, observateur avisé de la politique franco-allemande et européenne.
Vous êtes né en 1925 à Francfort, avez fui le nazisme et assisté après la guerre construction européenne. Comment vivez-vous la décision britannique ?
Comme un homme furieux. Tout le monde dit que la Grande-Bretagne sort de l'Europe. Or, elle demande à sortir de l'Union européenne, ce qui n'est pas du tout la même chose. Il faut au moins deux ans de négociations qui seront dures. L'article 50 du Traité est clair : après la négociation, le Conseil puis le Parlement européens doivent donner leur feu vert à l'accord de sortie.
Etes-vous surpris par le résultat du référendum ?
Ca fait des mois qu'on le dit. Cameron, qui avait été contre l'Europe, tout d'un coup est devenu pour, et l'ancien maire de Londres, Boris Johnson, était pour l'Europe et est devenu contre. Les jeux anglais ont été bizarroïdes. Par ailleurs, la campagne a été remplie d'horreurs et de mensonges dans les médias britanniques et c'est sur cette base que les gens ont voté.
Comment s'inscrit ce vote dans une perspective historique ?
La perspective plus longue, c'est que la Grande-Bretagne n'a jamais voulu faire partie de l'Europe. Tout le monde croit que Churchill, en septembre 1945 à Zurich, a lancé l'idée européenne. Mais il a ajouté que le Commonwealth et la puissante Amérique n'en feraient pas partie et deviendraient les sponsors de cette Europe franco-allemande. Ensuite, il y a eu les refus du Général [de Gaulle, NDLR]. Le seul moment où le Royaume-Uni a modifié son approche fut en 1973 et 1974 : il y a eu à la fois Pompidou qui se méfiait de Willy Brandt [le chancelier allemand, NDLR] et le seul Premier ministre européen que la Grande-Bretagne n'ait jamais eu, Edward Heath. Sous lui, la Grande-Bretagne a pu entrer en Europe, mais un mois après elle demandait déjà un traitement spécial.
Puis est arrivée Margaret Thatcher...
Et par chance, elle était tellement convaincue que seul l'argent comptait qu'elle ne s'est pas opposée à l'approfondissement de l'Europe, qui a eu parfaitement lieu avec une abstention de la Grande-Bretagne.
Comment expliquez-vous les différentes réactions de Paris et Berlin ?
C'est lié au fait que ni Hollande ni Valls n'ont pas la moindre fibre européenne. L'anti-européanisme français est très fort, aussi à l'Elysée et Matignon. Il n'y a jamais eu de proposition concrète française. On se refuse à avoir une direction économique commune qui ne soit pas une perte totale. Depuis 1981, il y a un accord franco-allemand qui n'a jamais été respecté : on s'était donné la promesse, jamais tenue, qu'avant d'envoyer son budget à l'assemblée, chaque gouvernement soumettrait son budget pour avis au pays voisin.
Craignez-vous un risque de contagion après le Brexit ?
Je vois très bien la Hongrie faire la même chose, ou la Pologne continuer à toucher les milliards de Bruxelles tout en faisant un référendum pour sortir de l'Europe. Il y a un vrai risque contagieux. C'est la peur de la mondialisation et la croyance qu'on est soumis à Bruxelles, que s'il y a du chômage, c'est la faute de Bruxelles. La presse anglaise a répété sans arrêt cela.
En savoir plus sur http://www.lesechos.fr/monde/europe/0211067340747-la-grande-bretagne-na-jamais-voulu-faire-partie-de-leurope-2009706.php?lPRIBbDe51YrkK3K.99