Européen à contre-courant

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«Si les Britanniques [sortaient] de l’Union européenne, je titrerais "hourra"», lance, provocateur, Michel Rocard en mai 2015, à rebrousse-poil de l’ensemble de la classe politique européenne.

Il aura eu la satisfaction, avant de mourir, de voir ce «Brexit» qu’il appelait de ses vœux depuis longtemps. Aux yeux de ce fédéraliste convaincu, le Royaume-Uni est l’empêcheur d’approfondir en rond, le pays qui a tué l’idée même d’Europe politique : «La Grande-Bretagne est un très grand pays qui a toujours refusé que l’Europe s’immisce dans ses affaires. Elle a bloqué tout approfondissement de l’intégration», estime-t-il. Pour l’ancien Premier ministre, ce pays «n’a jamais su ce qu’[il] faisait dans l’Europe. Les Anglais ne se sont pas européisés. Qu’ils s’en aillent est la condition pour qu’on puisse [approfondir l’Union]». Michel Rocard est en réalité sur la même ligne que son ami socialiste Jacques Delors, ancien président de la Commission européenne (1985-1995), qui souhaite que l’Union propose à Londres «une autre forme de partenariat».

Ce n’est pas la seule vision iconoclaste que Rocard partage avec Delors. Sur la Turquie, les deux hommes militent de concert pour une adhésion d’Ankara à l’Union. En 2008, dans un petit livre intitulé Oui à la Turquie, l’ancien Premier ministre explique que cela permettrait de stabiliser les frontières européennes et le Proche-Orient en empêchant ce pays de sombrer dans le nationalisme, sécuriserait l’approvisionnement énergétique de l’Union, élargirait le marché unique et éviterait le choc des civilisations.

Le Royaume-Uni, out, la Turquie, in, ce n’est pas précisément la vision majoritaire des responsables européens… Reste que Michel Rocard n’a jamais réellement pesé sur le débat européen, à la différence d’un Joschka Fischer, ancien ministre allemand des Affaires étrangères. Lorsque Rocard était Premier ministre, le sujet faisait partie du «domaine réservé» de François Mitterrand. Au Parlement européen, où il a siégé entre 1994 et 2009, il s’est concentré sur des sujets techniques et sur les relations extérieures de l’Union, vivant plutôt son poste d’eurodéputé comme un exil intérieur. Il faut dire que ses «camarades» socialistes, surtout les fabiusiens, ont tout fait pour lui savonner la planche, notamment en le privant du poste de président du Parlement européen en 2004… Amer ou visionnaire, il lançait en novembre 2015 : «L’Europe, c’est fini, on a raté le coche, c’est trop tard.»

 

LIBERATION.FR

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