Turquie. L’Europe va-t-elle se débarrasser de l’embarrassant Erdogan ?
Le coup d’Etat manqué du 15 juillet a donné lieu à de vastes purges dans l’armée et la fonction publique.
Pour les journaux européens, il est temps que l’Union européenne remette en cause ses accords avec une Turquie de moins en moins démocratique.
Vendredi 15 juillet, alors qu’à Ankara et à Istanbul des militaires tentaient de prendre le pouvoir, “l’Europe, l’Otan et les Etats-Unis ont longuement retenu leur souffle, avec espoir”, relate De Standaard. “Mais dès que l’échec du coup d’Etat est apparu évident, ils ont dû bon gré, mal gré, se ranger derrière Erdogan ‘au nom de la démocratie’.”
“Revanchard, irascible, autoritaire, obstiné : le président Erdogan était tout cela” bien avant la tentative de coup d’Etat, écrit The Daily Telegraph.
Maintenant qu’il y a survécu, ses pires instincts seront renforcés et vont redoubler d’intensité. […] Il sera pratiquement capable de tout.”
Or le pouvoir d’Erdogan est considérable, comme le pointe la Süddeutsche Zeitung : “La Turquie a peut-être besoin de ses partenaires internationaux, mais ce sont eux, surtout, qui ont besoin d’elle.” Et de fait, comme l’explique De Standaard, “Erdogan provoque l’Otan et les Etats-Unis au sujet de l’usage de ses bases militaires”, utilisées dans le cadre des frappes contre l’Etat islamique. Et il “tient l’Europe en otage avec le drame syrien de l’asile”, puisque dans le cadre d’un accord scellé en mars 2016, l’Union européenne lui a délégué le contrôle des flux migratoires à sa frontière avec la Grèce contre une enveloppe de 6 milliards d’euros, la levée des visas pour les Turcs voyageant dans l’UE, et la reprise des négociations sur l’adhésion d’Ankara à l’UE.
Jusqu’où va la realpolitik ?
Si, depuis sa première demande d’adhésion en 1987, une relation s’est nouée au fil du temps entre l’UE et la Turquie, c’est aussi sur la base d’un postulat “qui aujourd’hui vacille”, explique La Repubblica : l’idée que les négociations et le dialogue permettraient progressivement de renforcer la démocratie et de freiner les élans autoritaires du pouvoir turc.
Avec l’échec du coup d’Etat et la répression qui s’ensuit, cette théorie s’effondre. “L’UE assiste avec inquiétude à ce nouveau tournant autoritaire en Turquie”, écrit La Voz de Galicia. Très vite, près de 9 000 fonctionnaires du ministère de l’Intérieur ont été limogés, d’après l’agence de presse Anadolu, et 7 543 personnes, dont 6 038 militaires, ont été placées en garde à vue dans le cadre de l’enquête, a indiqué le Premier ministre Binali Yildirim lundi 18 juillet. Quant au président, il avait évoqué la veille le rétablissement de la peine de mort pour les putschistes.
“Jusqu’où va la realpolitik ?”, s’interroge De Standaard.
“Comment se comporter avec un président qui a un jour comparé la démocratie à un bus, la réduisant à un moyen de transport que l’on était libre de prendre comme d’en sortir ?”, se demande de son côté Stefan Kornelius, qui dirige le service étranger de la Süddeutsche Zeitung.
Pour lui, il est temps de clarifier nos relations avec cet allié si peu fiable. Et les Etats européens doivent se montrer fermes :
Si l’opposition est trop faible, les médias bâillonnés et les élites trop effrayées, il faudra – quand les militaires auront regagné leurs casernes – que quelqu’un rappelle au gouvernement turc qu’il existe des limites. […] Il serait plus que jamais temps d’exprimer les intérêts des alliés de la Turquie : les valeurs et principes de l’Etat de droit, aussi abstraits ces concepts puissent-ils paraître.”
Ces questions doivent être discutées par le conseil des ministres des Affaires étrangères de l’UE qui se réunit à Bruxelles ce 18 juillet. Mais le gouvernement allemand a fait savoir, dès la mi-journée, que le rétablissement de la peine de mort marquerait “la fin des négociations sur l’adhésion” d’Ankara à l’UE.
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