Emmanuel Macron sait manier le symbole. En franchissant au soir du 10 janvier les grilles de la prestigieuse université d’Humboldt, le candidat d’En marche sait qu’il rend encore un peu plus crédible une ambition que ses concurrents à la présidentielle ont cessé de moquer. C’est là en plein cœur du Berlin historique qu’ont été prononcés les grands discours sur l’Europe, dont au tournant du millénaire celui de l’ancien vice-chancelier allemand Joschka Fischer. Un lieu idéal en cette année de jubilé du traité de Rome, pour poser le premier jalon d’un retour de la confiance au sein du tandem franco allemand, et œuvrer pour l'«Europe de la souveraineté» à laquelle il aspire. Macron le dit  : lui  «président», l’Allemagne trouvera en la France un partenaire «responsable», respectueux des traités signés, à commencer par celui de Maastricht. Un engagement qui a sa contrepartie : «Cela devra avoir pour corollaire de convaincre les Allemands de la nécessité d’une politique d’investissement massive au niveau européen, avait-il prévenu quelques heures plus tôt. Un new deal.»

Dans l’amphithéâtre de l'université  Humboldt, les plus de huit cents personnes qui ont réussi à s’inscrire ont pris place. Joshka Fischer est assis au premier rang près de l’eurodéputée (Modem) Sylvie Goulard et du cofondateur d’Europe Ecologie-les Verts Daniel Cohn-Bendit. Attentifs à tout élément susceptible de ranimer cette «confiance», qui même à Berlin, ville libérale, multiculturelle et traditionnellement de gauche, a vacillé en septembre avec la percée spectaculaire dans les urnes du parti populiste Afd.

 «Avec la déchéance de nationalité, on s'est profondément trompé»

Macron avait préparé le terrain. Le 2 janvier, sa tribune publiée en France par le Monde paraissait dans un quotidien économique allemand. Le fondateur d’En marche y remerciait Angela Merkel d’avoir «sauver la dignité collective» des Européens par sa politique d’accueil des réfugiés. A rebours complet des propos tenus un an plus tôt à Munich par le Premier ministre Manuel Valls qui avait, lui, reproché à la chancelière sa politique migratoire laxiste.

«Je ne fais pas les choses en fonction des autres», avait l’après-midi rétorqué Macron en marge de sa visite à la Deutsche Bahn (équivalent allemand de la SNCF) pour apprécier son programme de formation de refugiés. «Fin 2015, j’étais déjà venu à Berlin dans un centre d’apprentissage pour réfugiés. Je suis pour une Europe plus ambitieuse, qui protège mieux sa population, pour défendre ses valeurs.» Une heure plus tard, après s’être arrêté un court instant de recueillement devant le mémorial aux victimes de l’attentat du marché de Noël de Berlin le 19 décembre, il se démarque encore davantage de celui qu’il prétend ignorer : «Avec la déchéance de nationalité on s’est profondément trompé. Si l’on se bat contre l’atrocité du monde, c’est au nom de nos valeurs.»

Une position plus pragmatique qu’angélique. A la tribune de la Humboldt, en anglais pour se faire «comprendre de tout l’auditoire», c’est sur les nécessaires avancées en matière de sécurité qu’insiste le candidat d’En Marche au nom de la sauvegarde des «valeurs». S’il écarte l’idée de revenir sur l’accord de Schengen sur la libre circulation, il préconise de renforcer la surveillance et la gestion commune des frontières extérieures de l’Europe. Surtout face à la montée des périls et au désengagement progressif des Américains, il appelle à une coopération renforcée entre l’Allemagne et la France dans le domaine de la Défense : il faut «créer rapidement un Fonds européen de défense, finançant à la fois des programmes de recherche et de capacités de défense communs» : «Cette défense dotée de moyens et d’ambition, c’est une Europe qui ouvre les yeux et qui prend ses responsabilités, fait-il valoir aux Berlinois. C’est le meilleur moyen de résister aux fantasmes du repli national comme aux incertitudes de notre partenaire américain.» Le moyen aussi d’avancer sur un dossier que l’Allemagne prend désormais très au sérieux comme le prouve la publication en 2017 d’un livre blanc de la Défense et l’augmentation sensible du budget afférant.

Budget de la zone euro

Une façon pour lui d’amorcer la pompe de la «solidarité». Car le candidat d’En Marche veut bien davantage qu’une coopération renforcée sur la Défense: convaincre les membres de la zone euro, à commencer par une Allemagne plus que réticente, de mettre en place «un budget de la zone euro adossé à une capacité d’endettement et à des ressources propres». Le tout pour «financer des investissements d’avenir, apporter une assistance financière d’urgence et aider les pays de l’euro en cas de grand choc économique».

Quand quelques minutes plus tard, Macron achève son vibrant appel en faveur d’une coopération franco-allemande renforcée au nom de la «paix, de la liberté et de la prospérité», des applaudissements nourris le saluent. «C’est le seul candidat capable d’arriver au second tour qui a un tel discours sur l’Europe, jubile Daniel Cohn-Bendit. Moi, je ne suis pas En Marche. J’écoute. Mais si fin mars, il est en capacité de nous éviter un duel Fillon-Le Pen, je parlerai.»

 

UN ARTICLE LIBERATION.FR