L'Europe aveuglée par la peur du démantèlement

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Depuis le Brexit, l'Europe est tellement inquiète pour son propre sort qu'elle voit dans chaque scrutin un risque d'explosion. Une crainte exagérée : le « non » de l'Italie au référendum voulu par Matteo Renzi n'a pas entraîné la panique annoncée.

 

Le scénario catastrophe ne s'est pas matérialisé. Lundi dernier, l'information importante n'était pas tant la victoire du « non » au référendum italien que sa relative absence d'impact sur le cours des choses. La baisse de l'euro ? Brève, et vite récupérée. Les taux d'intérêt auxquels l'Italie emprunte ? Même scénario. A ce stade, la panique tant redoutée n'a pas eu lieu.

Il est évidemment beaucoup trop tôt pour tirer des conclusions définitives de cet épisode. Affirmer que le risque financier a disparu serait commettre une dangereuse erreur : les banques italiennes sont, objectivement, fragiles. Les déboires de Monte dei Paschi, la plus vieille d'entre elles, en sont la preuve la plus évidente. La taille de l'Italie est telle qu'une crise violente du pays serait d'un tout autre impact que les mésaventures de la Grèce, qui feraient figure, rétrospectivement, de mise en bouche. Et les fragilités de la zone euro sont trop profondes pour prendre le sujet à la légère.

En revanche, l'inquiétude qui entourait ce scrutin permet de tirer une conclusion sur l'air du temps : l'heure est à la fébrilité. Pour partie, cela peut se comprendre. Difficile d'affronter avec légèreté les échéances électorales, lorsque l'année qui se termine a été marquée par le référendum britannique sur le Brexit, puis l'élection de Donald Trump. Ces deux consultations ont servi de révélateur de la défiance des peuples à l'égard de leurs représentants et, bien souvent, l'irrationalité y a triomphé sur l'exactitude des faits. Difficile, aussi, de ne pas percevoir une grande fatigue démocratique dans le camp occidental, quand de récents sondages démontrent que ce sont les jeunes qui semblent le moins attachés aux institutions libérales de nos pays. Difficile, enfin, de ne pas être dubitatif sur l'avenir du projet européen, quand le Brexit est brandi comme un trophée par tous les souverainistes d'Europe, dopés par l'absence de projet fédérateur de l'Union européenne. De fait, à Bruxelles, malgré - ou à cause de - l'activisme de la Commission sur de nombreux fronts, la passion européenne n'est plus. Qui porte et incarne une vision pour l'Europe ?

Dans ce contexte, le référendum italien apparaît comme un révélateur : l'Europe est tellement inquiète pour son propre sort qu'elle en perd son discernement. Lundi dernier, la tentation était grande, en Europe, de se laisser aller au simplisme au sujet des consultations de la veille. Un peuple, en Autriche, avait « bien » voté, au contraire d'un autre, en Italie. A des scrutins qui, pourtant, n'avaient pas grand-chose en commun, on appliquait la même grille de lecture : si les « populistes » avaient perdu ici, ils avaient, hélas ! triomphé là.

En plus d'être objectivement malade, l'Europe est devenue hypocondriaque. Un peu de recul aurait pourtant dû faire relativiser la situation : ce qui se jouait dans la péninsule italienne n'était pas une consultation sur l'Union européenne, mais une affaire de politique intérieure. Si l'Europe a effectivement compliqué le débat, la question posée aux électeurs concernait avant tout les institutions italiennes et elle était doublée d'un vote portant sur la personne du Premier ministre, Matteo Renzi. Face à des partis souverainistes d'Europe, qui voulaient en faire un sondage sur l'Union européenne, il aurait été bon d'opposer une saine indifférence. Au lieu de cela, l'Europe entière, ses médias notamment, portés par des marchés inquiets, ont laissé s'installer l'idée qu'un départ de Renzi pouvait être le début de la fin.

C'était une fable. Sans nier l'incertitude politique qu'ouvre ce référendum pour l'Italie, il faut rappeler que Matteo Renzi n'était pas un grand allié du projet européen. Ces derniers mois, il était même devenu tout le contraire, bloquant plusieurs possibilités d'accord et tirant à boulets rouges sur Bruxelles dès qu'il en avait l'occasion. Certes, cette démarche n'est guère réjouissante pour l'Europe, puisqu'elle démontre que, en 2016, un responsable politique d'un grand pays européen peut choisir pour stratégie électoraliste - manifestement insuffisante - de taper sur Bruxelles au moindre problème. L'exemple le plus frappant a été le refus de l'Italie de signer, en novembre, une proposition d'accord visant à mieux protéger le continent des produits étrangers vendus dans des conditions de dumping.

L'Europe a besoin de calme pour apporter des réponses aux problèmes complexes qui se posent à elle. Si, à cause du Brexit, chaque consultation électorale sur le continent doit être vécue comme un référendum sur la légitimité de l'Union européenne, aucune avancée collective ne sera plus possible. Ce stress est d'autant plus regrettable qu'il y aurait matière, çà et là, à se réjouir de timides avancées. Sur le front de la lutte contre le terrorisme ou de la protection des frontières, l'Europe a progressé, ces derniers mois, à une vitesse qu'on ne lui connaissait pas. Des tabous sont tombés, notamment avec la possibilité d'une mise en commun de la surveillance de certaines frontières extérieures.

Dans un tout autre domaine, les Européens sont, enfin, en train d'oser une posture plus ferme dans les contentieux commerciaux internationaux. Au plan fiscal, des textes importants ont été approuvés pour lutter contre les stratégies d'évasion des multinationales. En matière de pilotage économique, même si les divergences restent patentes, l'Union change progressivement de partition, consciente de la nécessité de soutenir l'investissement. Au-delà des aléas de la vie démocratique de chaque pays européen, il y a peut-être, enfin, un frémissement collectif. Dans ce contexte, le comportement fébrile de l'Europe n'est pas seulement regrettable : il est dangereux. Car il donne des armes à tous ceux qui souhaitent la faire vaciller.

Gabriel Grésillon

Bureau de Bruxelles
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