Crise agricole : la faute à Bruxelles ?

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La Politique agricole commune et l’Union européenne sont montrées du doigt comme responsables de la crise agricole actuelle.

 

 

Patrick Martin-Genier / Spécialiste des affaires européennes et chroniqueur sur les questions européennes |
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Les manifestations d’agriculteurs, les gestes de désespoir émaillés hélas de  violence au salon de l’agriculture ont mis en évidence la détresse des agriculteurs français. Face à un tel désespoir, il est évident que les responsables politiques – de droite comme de gauche – doivent aujourd’hui réfléchir à ce qu’il serait possible de faire en urgence pour permettre à notre agriculture de continuer à survivre dans un contexte international difficile, mais aussi permettre à tous les agriculteurs de tirer un bénéfice honnête et non de survie de leur exploitation.

Une politique dépassée

Il est vrai que si l’on dit généralement que la Politique agricole commune (PAC) a été victime de son succès depuis sa création lors du marché commun. Presque soixante ans après, le contexte a radicalement changé et il n’est pas question de nier les difficultés que rencontrent aujourd’hui les agriculteurs, notamment les plus petits d’entre eux qui ne perçoivent pas autant d’aides que les grandes exploitations.
Les agriculteurs ont diminué drastiquement dans la population active française et européenne, soit en France environ 3 % de la population active. En outre, l’agriculture représente 2 % du PIB.

Suivant cette évolution, le budget de la PAC a considérablement diminué. L’élargissement de l’Union a entraîné une réorientation des aides aux agriculteurs des autres pays de l’Union européenne moins bien armés que les agriculteurs français pour faire face aux exigences d’une agriculture moderne. Ainsi, le budget de l’Union européenne consacré à la politique agricole commune est aujourd’hui passé à 45 % si on y intègre le développement rural alors, qu’il en représentait plus de 70 % dans les années 1980. Cette diminution pourrait continuer dans les années qui viennent.

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Parmi les objectifs de la PAC a toujours figuré l’accroissement de la productivité des exploitations. Sur ce point, l’objectif a été atteint, laissant sur le bord de la route des milliers d’agriculteurs… Ainsi, d’autres objectifs ne sont plus aujourd’hui en capacité d’être respectés : un niveau de vie équitable à l’ensemble de la population agricole, la stabilisation du marché, la garantie de la stabilité des approvisionnements à long terme.

Des milliers d’agriculteurs ont ainsi reçu de nombreuses aides indirectes (les fameux prix garantis), des sommes d’argent destinées à éviter une pénalisation des exportations en raison de prix intérieurs qui seraient supérieurs aux prix mondiaux, enfin la mise en place de prélèvements agricoles sur les importations destinées à privilégier la préférence communautaire. Toutefois, face aux événements récents, notamment l’embargo russe et aux oukases de l’Organisation mondiale du commerce qui menace l’Union européenne de représailles, si celle-ci n’aligne pas ses prix sur les cours mondiaux, ces objectifs sont remis en cause.

Des torts partagés

Recevant le commissaire à l’agriculture récemment, le premier ministre a ainsi appelé la commission européenne à prendre ses responsabilités. Tout ce qui se passe serait ainsi de la faute de l’Europe. Pourtant, il convient de noter que la politique agricole commune est décidée en concertation avec les gouvernements des états membres qui sont représentés par les ministres de l’Agriculture lors des Conseils des ministres qui se réunissent à Bruxelles et qui constituent la représentation des Etats. Ces derniers portent donc une responsabilité essentielle dans les orientations données à la PAC depuis toujours et, en dernier lieu, la réforme de la PAC sur la période 2015-2020.

En vertu de l’article 43 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, le Parlement européen et le Conseil statuent, conformément à la procédure législative ordinaire et après consultation du Comité économique et social, pour définir l'organisation commune des marchés agricoles prévue à l'article 40.
Il en va de même des autres dispositions nécessaires à la poursuite des objectifs de la politique commune de l'agriculture et de la pêche. La procédure législative ordinaire signifie qu’en l’espèce, le Parlement européen dispose des mêmes pouvoirs que le Conseil des ministres et qu’en cas de refus de sa part sur l’une des dispositions proposées par le conseil, il a les moyens de s’y opposer. Ce qui donne un pouvoir important aux députés européens et aux états membres.

En outre, s’agissant des mesures relatives à la fixation des prix, des prélèvements, des aides et des limitations quantitatives, la fixation et la répartition des possibilités de pêche, que le Conseil prenne les décisions sur proposition de la Commission, il s’agit là d’un système qui fait toute la place aux ministres nationaux. Les états gardent donc une part importante de responsabilité et la fixation des prix agricoles.
Il ne sert à rien de se défausser sur Bruxelles. La France a ses propres responsabilités en la matière. D’une part, notre pays a été épinglé sur l’utilisation des fonds agricoles européens qui auraient été distribués par erreur… Elle est aujourd’hui obligée de rembourser un milliard d’euros jusqu’en 2017.

Un accélérateur d’inégalités

D’autre part, le problème structurel est que les grosses exploitations ont été toujours structurellement favorisées : 60 % des exploitations recevaient en moyenne moins de 20 000 € tandis que les gros exploitants et autres producteurs capitalistiques recevraient les plus grosses subventions.
Lorsqu’un producteur fait valoir qu’il vend 28 centimes d’euros son litre de lait alors que le coût de revient est de 30 centimes, enfin que le consommateur l’achète un euro ou plus, il y a quelque chose qui ne fonctionne plus dans la chaîne de distribution. Il y a ceux qui s’enrichissent et il y a le prolétariat agricole, ceux qui ne s’en sortent pas, ce qui conduit hélas à des drames personnels et familiaux.

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Or la préservation d'une agriculture artisanale est indispensable : les petits et moyens agriculteurs sont un maillon indispensable de notre richesse alimentaire, d’une alimentation durable et bio, de la cohésion sociale de nos territoires. L’ignorer serait irresponsable. Il est donc urgent de penser à une répartition des aides plus équitables afin que tout le monde y gagne. Pour cela, il ne suffit pas de dire à la commission qu’elle doit prendre ses responsabilités. Elle les prendra comme elle aura toujours su les prendre. Il faut aussi que les ministres de l’Agriculture aient un vrai débat politique sur l’agriculture européenne et, pour ce qui nous concerne, française. Un conseil européen des chefs d’État et de gouvernement devrait se pencher en urgence sur la question.

Patrick Martin-Genier, spécialiste des affaires européennes et chroniqueur sur les questions européennes


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