« Un atout pour l'Union européenne »
«La Turquie peut constituer un pont entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie centrale»
Philippe Lamberts, homme politique belge. Coprésident du groupe des Verts au Parlement européen. Le 9mars, il a fait une intervention remarquée en séance à Strasbourg contre la position de la France dans la crise des réfugiés.
Pour quelles raisons êtes-vous favorable à cette adhésion ?
PHILIPPE LAMBERTS. J'y suis favorable car cela nous permettrait d'ouvrir les dossiers très sensibles qui sont ceux des libertés publiques, de l'indépendance de la justice.
.. Cela mettrait le gouvernement turc sous pression. Même si je ne me fais aucune illusion sur la volonté d'Erdogan en matière de libéralisation de son système politique. Il y a quelques années, on pouvait encore croire à une telle évolution. Mais le non de principe de l'Allemagne et de la France, d'Angela Merkel et de Nicolas Sarkozy, à l'adhésion de la Turquie à l'Union européenne a été une erreur : il n'a pas encouragé Erdogan à se mettre en phase avec le socle de valeurs de l'Europe et l'a au contraire poussé dans les dérives actuelles.
Vous estimez que la Turquie peut être un atout pour l'Europe ?
Quand la Turquie satisfera tous les critères d'adhésion, notamment en matière de séparation et d'équilibre des pouvoirs, alors, oui, cela constituera un atout. C'est la position des Verts européens. La Turquie peut en effet constituer un pont entre l'Europe, le Moyen-Orient et l'Asie centrale et, à ce titre, représenter une puissance régionale de première importance. Comme l'Espagne avec son ancien empire d'Amérique latine.
L'islamisation de la société turque n'est pas un problème ?
La laïcisation de la société voulue par Atatürk après la Première Guerre mondiale a nié le fait que la majorité des citoyens turcs étaient des musulmans. Je peux comprendre qu'après une série de gouvernements fondés sur le clientélisme, la religion redevienne un fait de société. Mais la Turquie n'est pas l'Arabie saoudite, où règne un fondamentalisme islamique. L'adhésion à l'Union serait impossible si le gouvernement turc ne respectait plus les principes intangibles de la séparation de l'Eglise et de l'Etat et de l'égalité entre les hommes et les femmes. Un socle de valeurs qui, d'ailleurs, se fragilise dangereusement au sein de l'Europe des Vingt-huit.
C'est-à-dire ?
L'Europe qui, avec raison, s'affiche inflexible sur ses principes vis-à-vis d'un pays comme la Turquie devrait aussi faire le ménage en son sein. Aujourd'hui, la Pologne et la Hongrie, gouvernées par des partis populistes et volontiers xénophobes, s'éloignent ouvertement des principes de base de l'Union. Bruxelles a engagé une procédure d'alerte à l'encontre de Varsovie, mais se refuse à mettre en oeuvre le dispositif qui consisterait à suspendre le droit de vote au sein du Conseil. Il est vrai que c'est l'arme atomique. Je m'inquiète aussi des mesures prises par la France depuis les attentats, notamment celles qui réduisent les prérogatives du pouvoir judiciaire.
A quel horizon imaginez-vous l'entrée de la Turquie dans l'UE ?
Pas avant plusieurs années. Le jeu d'Erdogan est révélateur des contradictions dans lesquelles s'est mise l'Europe : d'une part, à l'exception de l'Allemagne d'Angela Merkel, elle ne veut pas accueillir plus de réfugiés, mais, d'autre part, elle refuse l'adhésion de la Turquie, pays dont elle sollicite pourtant l'aide pour l'accueil de ces populations. Or, si l'Europe avait été en conformité avec ses principes en acceptant les réfugiés — soit 1 % seulement de la population européenne en cinq ans —, elle ne se serait pas retrouvée aux prises avec le chantage d'Erdogan.
Par J.A., Le Parisien